LES HUÎTRES & LA BIÈRE

L’huître est une créature assez intrigante que l’on dirait venue tout droit de la Préhistoire. Et c’est effectivement le cas. D’après divers fossiles retrouvés, il semble que l’huître telle que nous la connaissons aujourd’hui a quelque 25 millions d’années. Les premiers hommes ne sont apparus qu’il y a environ 150 000 ans. Reste la question de savoir quel est le premier homme qui a mangé la première huître ? Comment lui est venue l’idée d’ouvrir cet étrange objet et d’avaler son contenu ?

J’imagine un robuste chasseur, errant après une tempête sur une étendue saumâtre et apercevant sur le sable mouillé des coquillages ressemblant à de petits rochers. Peut-être a-t-il vu un oiseau marin ou un autre animal engloutir une huître. Curieux, il ouvre le coquillage avec la pointe de sa massue. Ce qu’il voit à l’intérieur ne l’inspire probablement pas, mais il rassemble quand même tout son courage pour aspirer et avaler la substance molle et glaireuse. Son regard s’éclaire, un sourire se dessine sur ses lèvres : le mollusque salé et riche en protéine a ravi son palais. Naissance d’une délicatesse.

Des sortes d’huîtres, il y en a des centaines. Environ 25 ont un intérêt “commercial”. L’huître appartient à la famille Ostreidae, qui peut être divisée en deux groupes principaux : l’huître plate Ostrea et l’huître creuse Crassostrea. Les huîtres plates européennes (Ostrea edulis) ont une saveur douce et légèrement métallique. Les huîtres creuses japonaises (Crassotrea gigas) délivrent des touches de melon et concombre,  tandis que les huîtres creuses américaines (Crassotrea virgenica) présentent une touche de feuilles vertes.

La saveur d’une huître dépend des caractéristiques de l’eau dans laquelle elle grandit. C’est ce qu’on appelle le “merroir”, par analogie aquatique avec le “terroir”. Le terme « terroir » désigne une conjonction complexe de facteurs qui s’avèrent déterminants pour la saveur d’une plante ou d’un animal, par exemple le sol dans ou sur lequel ils se développent, la situation géographique et les conditions climatiques. Dans le cas du « merroir », ces facteurs sont donc la mer, les marées, la proximité d’une terre et le type de sol.

Outre leur variété spécifique, les caractéristiques de l’eau influencent largement la saveur des huîtres, et il est donc tout à fait judicieux de leur attribuer des appellations d’origine contrôlée. Plus la teneur de l’eau en sel est élevée, plus la saveur de l’huître sera prononcée. Le type de plancton et les minéraux dissous dans l’eau marquent eux aussi le goût du mollusque. L’exposition éventuelle à des marées renforce le muscle adducteur du coquillage, et les huîtres élevées dans des écluses à fort passage sont de véritables “athlètes”. La température de l’eau détermine la vitesse de croissance du mollusque et influence son sexe. Ainsi, une eau plus chaude et l’abondance de nourriture favoriseront une croissance rapide et l’évolution en individu femelle, avec une masse de petits œufs moelleux. Une eau froide et un menu frugal en revanche peuvent reporter indéfiniment la maturité sexuelle, donnant une huître maigre à la texture plus croquante.

Les huîtres peuvent être classées en fonction de leur taille selon deux méthodes. Pour les huîtres “creuses”, on distingue les tailles de 0 à 5 compris, 0 désignant la plus grande taille et 5 la plus petite. Pour les huîtres que l’on mange crues, la préférence est donnée aux gabarits 3/0, 4/0 et 5/0. En raison de leur taille, les gabarits 2/0, 1/0 et 0/0 sont souvent utilisés pour des préparations cuites. L’huître plate est classée de 000 à 6. Plus il y a de zéros, plus l’huître est grande. Mais en France, c’est le contraire : plus il y a de zéros, plus l’huître est petite. Quel peuple étrange…

APHRODISIAQUE

Les huîtres ont la réputation d’être aphrodisiaques. Depuis de longs siècles, on attribue à leur coquille des vertus magiques et excitantes. D’aucuns diront que cette croyance est liée à la ressemblance entre les huîtres et le sexe féminin, non seulement pour l’aspect extérieur, mais aussi pour le goût. L’huître a un goût salin, légèrement sucré, et une texture lisse qui caresse la langue tout en glissant vers la gorge… Inutile de préciser, et vous comprendrez aisément d’où l’huître tient sa réputation mythique.

La coquille de l’huître est très présente dans la mythologie grecque. La déesse Aphrodite (d’où vient le mot “aphrodisiaque”) serait sortie nue de l’écume de la mer, portée jusqu’à la terre ferme sur une coquille. Le tableau est évocateur et se laisse aisément imaginer. C’est également sur une coquille d’huître qu’elle aurait mis au monde son fils Eros (qui n’est lui non plus pas le premier venu en matière d’amour). Les huîtres étaient appelées “oreilles de Vénus” par les Romains. Pas difficile de comprendre pourquoi. Le poète romain Ausone a écrit : “Ces huîtres ont la chair grasse et blanche, un jus doux et délicat où une légère saveur de sel se mêle à celle de l’eau marine”. Une description qui laisse peu de place à l’imagination.

On rapporte que le célèbre séducteur espagnol Casanova dévorait chaque jour jusqu’à 50 huîtres en prenant son bain, voyant en elles “un aiguillon de l’esprit, des sens et de l’amour”. Et il passait ensuite le reste de sa journée à s’occuper de ses nouvelles conquêtes. La journaliste américaine Lisa Hilton, grande amatrice d’huîtres, a pour sa part écrit au sujet de la première huître qu’elle ait mangée : “elle a glissé au fond de ma gorge aussi facilement que le péché originel”. Que dire de plus ?

Si l’on s’en tient au point de vue technique, les huîtres contiennent assez bien de zinc, or le zinc stimule la  production de testostérone… De plus, les huîtres ont un cycle hermaphrodite, alternant entre mâle et femelle. Qui n’a jamais rêvé de pouvoir faire cela ? L’ouverture et la dégustation de l’huître ont elles aussi un petit côté sexy. Imaginez l’écailler tenant, au bout de son avant-bras fort et musclé, un couteau qu’il introduit avec art entre les deux valves pour ensuite détacher la chair moelleuse de la coquille. Portez ensuite l’huître à vos lèvres entrouvertes, inclinez-la légèrement. Laissez la chair moelleuse et le liquide salé glisser dans votre bouche et goûtez la sensation sur votre langue. Mordez délicatement dans la chair, sans brutalité. Savourez la perfection. Et imaginez la bière à déguster en si bonne compagnie. Le mariage de la bière et des huîtres est en effet l’entame idéale d’une soirée romantique. L’alcool vous fera oublier tout stress et les inhibitions, tandis que le zinc apportera un petit coup de testostérone. Pour la suite de l’histoire, promis juré, cela restera privé !

LES HUÎTRES ET LA BIÈRE

Champagne : cette boisson royale accompagne les huîtres depuis des siècles, et force est de reconnaître que les bruts forment des unions parfaites avec elles. La plupart des huîtres s’accommodent aussi parfaitement de vins blancs secs aux touches minérales et citriques. Des combinaisons réussies, sans aucun doute.

Mais au pays de la bière aussi, de beaux couples peuvent se former. En Irlande, l’association entre les huîtres et les “stouts” est devenue une véritable délicatesse. On pourrait presque croire que la grande huître irlandaise, charnue et salée, n’attend que la saveur sèche, légèrement métallique et grillée d’une Guinness. An Irish match made in heaven.

Nos bières belges à fermentation spontanée et nos blanches apprécient elles aussi la compagnie des huîtres. Les Vieilles brunes et Vieilles rouges, avec leurs touches acidulées, s’allient parfaitement à certaines variétés d’huîtres. Et n’oublions surtout pas nos bières brutes, dont la grande classe peut aisément se mesurer aux meilleurs champagnes. Enfin, en toute simplicité, une belle pils sera elle aussi un véritable régal en compagnie d’une huître.

> CONSEIL POUR TOUS LES AMATEURS DE BIÈRES ET D’HUÎTRES: L’ecellente brasserie anversoise Dock’s Café (voir docks.be)

Photos: Bart Van der Perre

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